Une opération en cours menée par l’Economic and Organised Crime Office (EOCO) a mis au jour une vaste entreprise criminelle impliquant des véhicules volés, mettant en lumière un problème profond et troublant au Ghana. Le récent recouvrement de 100 voitures de luxe volées et introduites clandestinement dans le pays n’est pas seulement une victoire pour les forces de l’ordre, mais également un signal d’alerte sur une chaîne criminelle étendue qui touche des citoyens innocents.
Les Victimes Innocentes au Cœur de la Crise
Pour beaucoup de Ghanéens, posséder une voiture symbolise la réussite financière et la stabilité. Cependant, des années d’économies peuvent s’envoler en un instant lorsqu’un véhicule acheté en toute bonne foi est saisi parce qu’il s’avère volé. Selon Leo Antony Siamah, chef des affaires juridiques et des poursuites à l’EOCO, la loi impose aux acheteurs une obligation de vérification préalable. Il précise :
" La loi impose à tout acheteur de faire preuve de diligence raisonnable. Si vous ne vérifiez pas l’authenticité du véhicule et de ses documents, vous risquez de tout perdre sans aucun recours légal. "
Ce qui signifie qu’un acheteur, même innocent, peut perdre son investissement sans compensation. Un cas emblématique est celui du groupe Wanderlust Ghana, dont les véhicules ont été confisqués après avoir été identifiés comme volés en République démocratique du Congo, interrompant ainsi leur voyage ambitieux de 30 000 kilomètres. Malgré les affirmations d’avoir suivi les démarches nécessaires, leur expérience reflète la vulnérabilité des acheteurs face à ce fléau. Comme l’a exprimé un utilisateur ghanéen sur les réseaux sociaux :
" Si une grande figure comme Shatta Wale peut être victime, qu’en est-il de nous ? "
Un Système Sous Tension
Cette crise a également déclenché un vif débat entre les concessionnaires automobiles et les autorités portuaires. Frank Atanley Kofigah, secrétaire exécutif de l’Union des concessionnaires de véhicules et d’actifs du Ghana, a critiqué les divisions des douanes du Ghana Revenue Authority pour leur rôle de " gardiens " censés empêcher l’entrée de ces véhicules volés. Il a déclaré :
" Les divisions des douanes… sont les gardiens qui doivent faire en sorte que ces véhicules (volés) ne pénètrent même pas dans ce pays. "
Cependant, un fonctionnaire des douanes ghanéennes, sous couvert d’anonymat, a souligné les défis :
" Nous n’avons pas un accès en temps réel à la base de données d’Interpol pour chaque véhicule qui arrive au Ghana. Le processus est manuel et chronophage, ce dont les criminels profitent. "
À titre de comparaison, des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni ont des systèmes plus robustes. Par exemple, les douanes américaines exigent le dépôt d’un formulaire HS-7, et les véhicules doivent répondre aux normes de sécurité définies par la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA). Au Royaume-Uni, des documents rigoureux tels que le " Certificate of Conformity " ou l’" Individual Vehicle Approval " sont requis pour les véhicules non européens. Ces mesures réduisent les failles à l’entrée, contrairement au système plus vulnérable du Ghana.
Un Enjeu Criminel Mondial
Le problème des véhicules volés au Ghana n’est qu’une pièce d’un puzzle criminel mondial. Selon David Caunter, directeur du crime organisé et émergent chez Interpol :
" Chaque année, des centaines de milliers de véhicules sont volés dans le monde… Les véhicules volés sont trafiqués à travers le globe, échangés contre de la drogue et d’autres marchandises illicites, enrichissant les groupes criminels organisés et même les terroristes. "
Ce commerce affecte toute la région de l’Afrique de l’Ouest. Une opération baptisée " Safe Wheels ", coordonnée par Interpol et financée par le gouvernement du Canada, a révélé une vaste activité illicite dans 12 pays de la région, y compris le Ghana. En seulement deux semaines, l’opération a permis de détecter 150 véhicules volés, d’ouvrir 18 enquêtes et de démanteler deux groupes criminels organisés. Une grande partie des véhicules volés provenaient de pays tels que le Canada, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas.
Une Affaire Médiatique : L’Exemple de Shatta Wale
Le cas du musicien Shatta Wale a transformé ce problème en une affaire publique. La saisie de sa Lamborghini Urus, soupçonnée d’être liée à une arnaque de 4 millions de dollars (environ 44,6 millions de GHS) aux États-Unis, a braqué les projecteurs sur cette crise. Incapable de fournir les documents d’achat ni d’identifier le vendeur, Shatta Wale est devenu un exemple des risques que courent les acheteurs. Comme l’a averti Leo Antony Siamah :
" Une voiture d’une valeur marchande de 400 000 à 500 000 dollars (environ 4,46 millions à 5,58 millions de GHS) proposée à 100 000 dollars (environ 1,12 million de GHS) devrait immédiatement éveiller des soupçons. "
Conséquences Économiques : Une Industrie Fragilisée
Au-delà des impacts juridiques et réputationnels, ce trafic de voitures volées perturbe l’industrie automobile ghanéenne, qui est essentielle à l’économie. Avec environ 100 000 véhicules importés chaque année, dont 85 % sont d’occasion, ce secteur contribue significativement aux revenus de l’État. Cependant, l’opération de répression a semé la peur parmi les acheteurs, entraînant une baisse des ventes et menaçant les moyens de subsistance de nombreuses personnes, notamment dans le secteur informel. La concurrence déloyale des réseaux criminels, proposant des prix irréalistes, aggrave encore la situation pour les concessionnaires honnêtes.
Réformes Nécessaires pour Restaurer la Confiance
Pour résoudre cette crise, le Ghana doit aller au-delà des simples confiscations. Le gouvernement est appelé à intégrer des réformes systémiques, notamment la numérisation des processus douaniers et l’intégration des bases de données internationales comme celle d’Interpol. Cela permettrait une vérification instantanée des véhicules aux frontières, comblant ainsi les failles exploitées par les criminels.
Felix Kwakye Ofosu, ministre de la Communication gouvernementale, a appuyé une demande d’audit complet de la division des douanes. De son côté, Richard Ahiagbah, directeur de la communication nationale du principal parti d’opposition, a exhorté à une unité nationale :
" Ce n’est pas une question partisane. C’est une question de sécurité nationale et de réputation. Nous devons travailler ensemble pour combler ces lacunes et protéger nos citoyens. "
En agissant de manière collective et transparente, le Ghana a l’occasion de devenir un leader régional dans la lutte contre ce type de criminalité transnationale. Comme l’a résumé Leo Antony Siamah :
" Nous sommes déterminés à protéger la réputation du Ghana et à sauvegarder les acheteurs innocents. Mais cette lutte exige la coopération de tous. Ensemble, nous pouvons rendre bien plus difficile pour les criminels d’utiliser notre pays comme refuge pour les voitures volées. "
Les actions du Ghana dans ce domaine pourraient non seulement restaurer la confiance du public, mais aussi démontrer sa détermination à ne plus être un maillon faible dans le commerce mondial des véhicules volés.